source : So Paddy Got Up publié en 2011, chapitre écrit par Nick Ames

La porte est légèrement ouverte quand je frappe, comme c’est souvent le cas. Ken Friar OBE a dû regarder par sa fenêtre, ou marcher sur le balcon surplombant Drayton Park des centaines de fois – pour regarder ce panorama poignant du nouveau Highbury Square. Mais à cet instant il a les yeux rivés sur son Mac. On est en Août, un mois particulièrement animé dans le football moderne, et l’homme que tout le monde appelle Mr Friar ne montre absolument aucun signe de laisser aller. C’est le jour qui commence sa 62ème saison en tant qu’employé permanent d’Arsenal. Quand on y ajoute 5 année comme employé temporaire, il a été un rouage dans la mécanique d’Arsenal pendant plus de la moitié de ses 125 ans d’existence. Personne n’a représenté aussi bien la tradition des Gunners, et son adaptation à travers les époques, même si avec auto-dérision il dit « je cherche toujours un boulot normal! ».
Si le Club a que très peu changé pendant les 50 premières années qu’il y a passé, la dernière décennie les changements ont été supersonics; ça n’a jamais été simple, plutôt comme il le dit souvent exténuant. Mais il a gardé toujours le même enthousiasme, le même esprit, tout comme la flamme dans ses yeux quand il se rappelle certains de ses souvenirs à Arsenal.

Les débuts datent d’il y a maintenant très longtemps, mais on va commencer par ça? Tout le monde connait l’histoire du moment où vous avez été engagé la première fois par Arsenal, mais c’est tellement remarquable que ça vaut le coup d’être répété.
« Honnêtement, c’est pas une histoire dont je suis fier, c’est juste une de ces choses qui se sont passé, et je suppose que le temps l’a embellie. J’étais un enfant, et comme tout les autres, je jouais au football avec une balle de tennis à l’extérieur du Stade, sur Avenell Road. La balle a roulé, je cours après, elle disparaît alors sous une grosse voiture. Je me suis glissé dessous pour la récupérer, puis j’entends ‘qu’est-ce que tu fais gamin?’ J’avais la peur de ma vie! C’était en fait George Allison, le manager de l’époque. Pour certaines raisons, il m’a demandé ensuite de revenir le lendemain au stade. Pourquoi est-ce que je lui ai obéit? J’en ai aucune idée encore maintenant – ça aurait été plus simple de m’enfuir, et ça aurait été la fin de l’histoire. Mais je suis revenu et je suis devenu directeur général d’Arsenal, voilà comment ça a commencé. »

Vous êtes revenu, et alors …
« Je suis revenu, je l’ai vu – il m’a présenté au manager de la billetterie à l’époque, et donc j’ai commencé directement comme directeur! Non, en fait j’ai commencé pour la moitié d’une couronne par semaine à courir pour délivrer des messages de la porte d’entrée jusqu’aux bureaux pendant les jours de match. J’étais à l’école à Highbury County, donc c’était un plus. Mais croyez moi, je ne sais toujours pas pourquoi je suis revenu. »

Mais de messager, à Directeur Général, il y a encore un incroyable écart. Comment cette progression s’est déroulée?
« Quand est arrivé la fin de mes études, j’avais pleins d’opportunités. Je voulais être un agent de change, et il y avait un poste dans une grosse entreprise qui m’intéressait beaucoup. Je travaillais déjà pour Arsenal depuis 5 années, et le Club a contacté ma famille en leur disant qu’ils aimeraient bien que je vienne travailler plein temps.  Mes parents étaient d’accord, mais je n’étais pas très enthousiaste car le salaire en tant qu’agent de change était deux fois supérieur – £3 par semaine – par rapport à Arsenal. Finalement ils ont eu le dernier mot, et j’ai commencé comme employé temps plein en 1950, pour £78 par an. A partir de là, j’ai travaillé dans tout les départements. Le business était très différent à l’époque, même quand on était encore à Highbury aux débuts des années 2000, il n’y avait 109 employés à Arsenal . Ca a presque quadruplé depuis. »

Ensuite, votre progression a été météorique …
« Disons que c’était une progression constante. Je suis d’abord devenu un peu plus impliqué dans ce qui se passait au Board en 1965 – à l’époque le gros poste c’était secrétaire, et je suis devenu son assistant. En 1973 je suis devenu moi-même le secrétaire; puis directeur général 10 ans plus tard. je suis resté à ce poste jusqu’à un âge où je pensais me consacrer au golf. Enfin j’ai été profondément impliqué avec Danny Fiszman dans le déménagement vers l’Emirates, comme vous le savez. »

Ken Friar rencontre Nelson Mandela en 1993

Est-ce que cette progression vous étonne?
« Parfois quand j’y repense, oui, et je pense à comment le Club a changé et évolué. Mais rappelle-toi Nick, t’as grandit dans une période où tout était déjà là. A l’époque il n’y avait pas de photocopieuse, par exemple. Tout les documents devaient être tapés, et si il fallait 12 copies, la fille devait en taper 3 fois de plus. Je rédigeais ces documents, et à l’époque ça pouvait prendre 1 journée pour être fait, aujourd’hui ça prend 5 minutes.
Un autre exemple – les billets. Chaque billet était produit par un imprimeur. Ils arrivaient sous forme de carnets, et ensuite il fallait vérifier manuellement, sur chaque siège, un par un. Ensuite il fallait les vendre et les gens faisaient la queue de l’entrée principale à la station de métro – des milliers de personnes quand c’était un gros match. On faisait tout ça avec peu de personnel, mais c’est inimaginable pour les gens.
Et c’était que des exemples – il y avait d’autres secteurs. Par exemple les joueurs étaient sous contrat d’un an, avec un salaire fixe par an, tout ces contrats étaient prolongé en une journée! On avait pas non plus un nombre énorme d’actionnaires, pas trop d’opération commerciales – au lieu de ça on avait la lotterie qui nous faisait gagner £1000 par semaine, et c’était une fortune. Puis finalement on a signé le contrat avec JVC, le plus gros contrat de sponsors maillot de l’époque, pour £100.000 par an, c’était un événement à l’époque. Tout a changé dramatiquement. »

Les pratiques ont-elles changé dans le business. C’est maintenant moins familial?
« Ca a toujours été, et ça l’est toujours, très cordial, mais il faut se rappeler aussi que même si l’ambiance familial à toujours été là, le Club a toujours été géré comme un business. Les Sir Samuel Hill-Wood et Sir Bracewell-Smith étaient tout les deux de très grands entrepreneurs; Denis Hill-Wood était aussi cadre dans une société d’agents de change; Sir Chips Keswick était le président de l’une d’elles. Donc ce n’était pas « comment ça va mon vieux? » – plutôt loin de ça. Une fois que la porte était fermée, c’est comme n’importe quelle entreprise. Dans la salle de réunion du Board ça a toujours été « Mr le président » ou « Sir », même si c’était suivit du prénom, et que l’on soit tous très bons amis en dehors. »

Je compte 20 titres majeurs depuis que vous êtes au Club. Question général, lequel a été le plus satisfaisant?
« Difficile d’en ressortir un en particulier; il y en a eu tant, de souvenirs, de succès.  Je suppose que ce doit être le doublé en 1970/71 car on avait rien gagné depuis 1953 – 17 ans sans rien, et soudainement on a gagné des titres. C’était énorme, tellement satisfaisant. Il y a aussi en 1989 à Anfield bien sûr. Mais le match qui vient est toujours le plus important – c’est ma devise. »

Dévoilement du buste à son effigie, 2012

17 années sans titres, ça remet les choses en perspectives. Mais ça me mène a demander si il y a eu des périodes noires – où l’avenir paraissait incertain.
« Il y a eu certaines périodes où l’on pense que la lumière s’est éteinte, oui. Mais, honnêtement, ça a toujours été un endroit spécial pour travailler, et c’est le genre de travail que l’on est incapable de faire si on ne le fait pas par amour. C’est plus qu’un travail de 9h-17h, c’est un travail très exigeant. Je me rappelle qu’il nous arrivait de travailler plus de 80h par semaine régulièrement, pendant presque 6 ans, quand on travaillait sur le nouveau stade. Je me rappelle que Danny m’a demandé un jour ‘Est-ce que t’es fatigué?’ je lui ai répondu ‘oui, un petit peu’, alors il m’a dit ensuite que l’on avait travaillé 86h cette semaine là. Donc c’était une période très éprouvante.
On commençait les rendez-vous dans les bureaux d’avocats à 8H, et je mettais ma clé dans la porte de ma maison parfois le lendemain matin à 6H. Mon fils vivait chez nous à l’époque, car sa maison était en rénovation – un jour j’ai fais attention à ouvrir la porte doucement pour réveiller personne. Il descend les escalier et me demande ‘C’est à cette heure si que l’on rentre?!’ C’est ce que je lui disait quand il était plus jeune. »

C’est étonnant …
« Hé bien, pour moi c’était surtout un privilège. J’ai eu tant de chance de travailler pour ce Club. On travaillait en équipe, on avait une grosse solidarité en dehors des terrains, et ça a toujours été ‘on’ plus que ‘je’. »

Et dans ce « on », beaucoup de personnages mémorables à travers les époques, bien sûr, un en particulier vous viens à l’esprit?
« Il y avait tellement de caractère à l’époque que l’on ne voit plus aujourd’hui, comme Dennis Hill-Wood, le père de Peter – c’était un personnage avec beaucoup de caractère, apprécié de tous, vraiment dans la tradition du Club. Des ex-joueurs aussi, ceux qui reviennent et travaillent ensuite avec nous. On voit toujours les gars de la saison 1970/71 régulièrement par exemple, et d’autres à travers les années. Arthur Shaw a maintenant 84 ans et il vient toujours régulièrement. Cette affinité, cet amour, ça ne compte pas pour rien. »

Et puis il y avait aussi Danny …
« Un phénomène. Ce qu’il a fait était phénoménal. Il a tant donné, et probablement perdu beaucoup d’argent aussi, en se dévouant aussi toutes ces semaines à environ 80h – sans oublier qu’il avait une autre entreprise à gérer aussi. Il était énormément dévoué pour le Club, il l’aimait – il portait les mêmes chaussettes rouges à chaque matchs par superstition, et on allait à tout les matchs ensemble, domicile comme extérieur. C’était un grand, grand personnage, et un homme très charmant. »

Qu’est-ce qui fait d’Arsenal un Club si différent des autres?
« Ce sont les gens qui font ce Club. Les fans, le manager, tout les gens qui travaillent pour le Club … On a des valeurs qui je pense sont précieuses à toutes ces personnes, et on ne doit jamais les perdre de vue – elles étaient respectées déjà il y a 80-90 ans par la famille Hill-Wood, et ont été perpétué ensuite jusqu’aujourd’hui. Je suppose, si j’ai réussit quelque chose, c’est de faire partie de ces gens qui ont fait perdurer ces traditions. Les traditions ne paient pas les salaires, mais c’est très important dans la structure d’un Club.
Voilà un exemple. En 1939, les joueurs qui partaient à la guerre devaient recevoir un bonus de £500 – une belle somme à l’époque. Ces bonus étaient prêté au Club à un taux de 2%, donc en fait ils n’avaient jamais reçu ces sommes. En 1980s on s’était rendu compte de l’erreur – le Chairman et moi avons donc cherché un par un ces ex-joueurs pour leur donner ce bonus 40 ans après. C’est le genre d’exemple qui met en évidence les valeurs que l’on cherche à faire vivre. »

Le nombre de managers avec lesquels vous avez travaillé dépasse la dizaine, mais avec Arsène vous avez été particulièrement proche …
« C’était une grande époque. Il est bon a tout ce qu’il fait, il y a de quoi être envieux! On était une fois à une réunion avec des gens de 4 ou 5 langages différents, et il n’a pas arrêté de parler dans chaque langue, sans effort. Une ou deux fois il m’a vraiment impressionné – on a un joueur relativement inconnu qui nous est recommandé, et il nous sortait tout son parcours professionnel, ses détails personnels, de sa tête. On était en Espagne récemment, et il connaissait tout les joueurs sur la feuille de match, et il connaissait tout d’eux. Il a un cerveau phénoménal en terme de football, mais on peut discuter de n’importe quel sujet avec lui, il s’en sortira avec un aplomb remarquable. J’ai voyagé dans le monde entier avec lui, et je ne l’ai jamais vu perdre son calme avec qui que ce soit! Ca va sans dire que l’on a eu une grande chance de l’avoir, et le jour où il décidera de nous quitter, ce sera certainement un des plus tristes. »

Ken Friar Bridge, 2014

Sinon, est-ce que vous auriez imaginé un jour avoir un pont à votre nom?
« Je suis un peu embarrassé .. Si j’attrape les responsables! On avait prévu quelque chose pour commémorer Danny, ensuite la réunion s’est arrêtée et lorsque ça a été annoncé, ils ont décidé d’ajouter mon nom pour le second pont. Je ne me rappelle même pas ce que j’ai dis pendant la cérémonie – surement un truc du genre « quand j’ai commencé la seule chose que je pensai qu’ils nommeraient après moi serait un cintre ». Pas besoin d’ajouter que le lendemain ils m’ont faire faire un cintre avec mon nom dessus! Mais c’est incroyablement flatteur d’avoir un pont à son nom – maintenant j’attends la permission pour mettre un péage de chaque côté! »

Quand vous traversez ce pont chaque jour, quand vous marchez entre Highbury House et le stade, est-ce que vous sentez que vous avez toujours autant d’énergie qu’avant?
« Hé bien, j’ai réduis maintenant; ce n’est plus que des semaines de 60 heures! Non, je suis toujours là le matin à 8H – j’essaie de ne pas rester le soir, et plus rien ne m’y oblige. Mais écoute, je travaille parce que j’aime cet endroit, et les gens qui y sont. Je prends toujours beaucoup de plaisir à travailler ici, et je suis probablement le gars le plus chanceux du monde, de pouvoir continuer de faire ce que j’ai toujours adoré faire. »

L’interview arrive à sa fin, on se dit au revoir, et l’instant suivant après avoir fermé la porte, je l’entend rappeler une des personnes qu’il a manqué pendant mon entretien. Il reste 6h de travail et pas une seconde ne sera gaspillée, car aucune ne l’a jamais été.
Le paysage de son amour a peut-être changé à jamais, mais cet homme dont les services rendu au Club dépassent l’âge combiné de Theo Walcott, Jack Wilshere et Alex Oxlade-Chamberlain n’est pas prêt de prendre sa retraite.